(crédit : Starry-Eyed)
Josephine est la troisième enfant du couple parental. Un enfant non prévu, arrivant après un garçon et une fille si parfaits, un accident de contraception. Sa mère était ravie de ce bébé surprise, dont elle aimait les boucles blondes et les grands yeux bleus si curieux. Son père, en revanche, n'a jamais aimé l'imprévu, et n'a jamais su quoi faire d'elle. Elle était un bébé facile pourtant. Calme et observatrice, ne se faisant pas beaucoup entendre et attendant qu'on se tourne vers elle pour communiquer.

Elle aurait pu rester cette enfant calme et polie, mais le rejet de son père et les nombreux déménagements dans son enfance ne l'ont pas aidés à rester cette petite trop sage. Elle a appris à manipuler ceux qui l'entouraient pour obtenir ce qu'elle voulait, et c'était facile de faire les yeux innocents et un joli sourire. Elle était une jolie poupée, la vitrine de ses parents, et elle savait en jouer.

Elle a eu une enfance et une adolescente heureuse. Privilégiée même. Des beaux appartements dans toutes les capitales du monde, de l'argent pour lui offrir tout ce dont elle pouvait rêver, la présence soutenante de sa mère, jamais très loin. Elle a grandi à l'abri de tout, mais avec ce grand vide, cette impression de ne pas être à sa place au milieu des dorures et de la diplomatie.

C'est en arrivant à Paris à ses dix-huit ans, suivant une nouvelle fois son père, qu'elle a trouvé ce qui lui manquait : la relation avec les autres. Josephine avait toujours vécu à l'abri, dans le cocon familial, et jamais vraiment confrontée à l'extérieur. En arrivant en France, elle a passé le concours d'assistante sociale, à la grande surprise de sa famille. Elle déçut une nouvelle fois son père, mais y était étrangement habituée de toute façon...

Elle restait une bonne élève, et sa formation se passait bien. Un rêve, même si elle avait pris conscience de la dureté du monde extérieur, des situations terribles qu'elle allait rencontrer dehors. Elle avait des copines de promo - pour la première fois, il s'agissait de filles qu'elle avait rencontré par elle-même, et qui ne l'approchaient pas pour en savoir plus sur sa famille. Josephine avait découvert les soirées et l'amusement, le lâcher prise aussi.

Jusqu'à ce soir de juillet 2018. La fête nationale, beaucoup trop d'alcool, et les si charmants yeux bleus de Jeremy. Elle s'était oubliée dans ses bras, et avait eu une charmante surprise trois semaines plus tard, sur un test de grossesse acheté à la va-vite devant le retard de ses règles.

Les premiers mois, elle avait réussi à cacher son ventre, profitant de l'hiver pour mettre des gros pulls et des vêtements larges. Mais elle était mince, et le petit habitant qu'elle couvait avait fini par se dévoiler aux yeux du reste de la famille. Son père n'avait pas attendu longtemps avant de la mettre dehors, sans cérémonie, malgré les cris de sa mère.

Josephine avait affronté la rue et les foyers, les chambres sans chauffage au cœur de l'hiver, et les douches glaciales. Elle avait tenu bon, pour ce bébé dont elle sentait les doux coups contre son ventre. Une fille, lui avait appris la gynécologue qui la suivait. Elle n'avait pas osé lui donner de nom. Elle ne savait pas quoi faire d'elle, mais savait déjà qu'elle ne lui ferait pas connaître l'enfer de la rue et de la pauvreté.

Elle avait cherché Jeremy. Presque inconsciemment au début, jusqu'à savoir où il vivait et son emploi du temps. C'était impressionnant tout ce qu'on pouvait savoir sur les réseaux sociaux. Ce fut d'ailleurs son adresse à lui qu'elle donna à l'hôpital pour son dossier d'accouchement. Avec le nom de l'homme, et le doux prénom d'Emma, celui de l'infirmière qui lui avait mis pour la première fois le bébé dans les bras.

Josephine aimait ce bébé si innocent, avec ses si grands yeux bleus. Elle avait aimé se perdre dans ce regard si jeune et si profond. Les trois jours à la maternité avait été un rêve éveillé, avant qu'elle n'en sorte. Quatre jours à galérer de foyer en foyer, sans se poser, sans se sentir en sécurité. Définitivement pas la vie qu'elle voulait pour Emma.

Elle avait affronté les deux heures de métro avant de sonner chez Jeremy. Trop fatiguée pour sourire devant son air perdu. Trop triste à l'idée de se séparer de son petit amour, lové contre elle, sous son manteau. De cet enfant qui avait bouleversé sa vie, et qu'elle ne reverrait sans doute jamais. Elle l'avait laissé à Jeremy, en lui disant qu'elle était désolée et qu'Emma était sa fille. Elle avait fui pour ne pas craquer devant lui, ne laissant qu'un bébé et un sac à langer - avec une lettre pour Emma. Elle espérait juste qu'il la donne un jour à sa fille, quand elle serait plus grande, qu'elle pourrait comprendre.

Une fois seule, et de nouveau dans la rue, elle n'avait pu que chercher du travail, de quoi se payer une chambre de bonne minable dans le XXè. Un truc insalubre et sans doute illégal, perché sous les toits, sans la moindre isolation. Mais qui est à elle, et pour lequel elle a une clé.

Elle a foiré son année, évidemment. Et elle a redoublé, frustrée de voir son diplôme et sa promesse d'un meilleur travail être reportés d'un an. En septembre, elle s'était dit qu'elle allait tout faire pour réussir. Pour Emma. Mais elle n'avait aps tenu longtemps. Le manque était trop fort, elle avait besoin de voir sa fille. De la serrer contre elle. De renifler encore son odeur de poupon. De se noyer dans ses grands yeux si semblables aux siens...