Ils portent une blessure invisible, qu'ils ne peuvent oublier car c'est cela que le corps cicatrise le moins bien, les maladies qui n'ont pas de nom. Elles se taisent et n'osent rien avouer.
(This home just ain't a home)
Dehors, il faisait froid, il pleuvait et tout le monde faisait la fête.
Tout le monde, sauf tes parents.
Mon petit miracle de Noël que Maman t'a toujours appelé et toi tu ne sais pas si tu es vraiment un miracle mais tu sais que tu ne regretteras jamais d'être né à cette période. Tu trouves qu'elle te correspond bien ; la magie, les guirlandes de Noël, l'étoile au-dessus du sapin et les sourires des enfants devant le Père Noël, tu te dis qu'il n'y a pas meilleur moment pour fêter son anniversaire.
Maman, elle a l'âme en vadrouille et des rêves de liberté qu'elle a laissé de côté lorsqu'elle a dit oui à ton père. C'était pas grave, qu'elle s'est sûrement dit, je suis amoureuse, ça devrait aller. Elle pensait pas que ta naissance allait resserrer les chaînes autour de ses chevilles et commencer à t'étrangler à ton tour dès ta plus tendre enfance. Papa, il voulait sûrement que votre bien, mais il ne pensait qu'à son entreprise, qu'à son argent,
tu dois être un grand homme Kyllien et les hommes ne pleurent pas dès que tu versais une larme pour une blessure,
tu dois avoir de bonnes notes dès que tu es rentré en maternelle,
interminables sermons et pas de câlins, pas de regards, que de l'indifférence et une distance qui faisait mal si mal.
Alors, Maman, un jour, elle a dit stop.
Elle a prit ta main,
et t'a emmené loin.
Maman, elle a prit vos chaînes et les a arraché à mains nues,
peu importe l'amour les responsabilités la société l'argent
elle
elle voulait
que tu sois juste
heureux.
L'Amérique comme nouveau foyer, parce que maman a toujours voulu visiter ce continent si particulier. Ca n'était que vous deux et un petit appartement mais tu n'as jamais été aussi épanoui qu'à cette place, qu'à cet endroit, à ce moment donné. Tu as grandi dans la tendresse et les éclats de rire, bien loin de l'ombre menaçante de ton père qui s'effaçait au fur et à mesure que les années passaient. C'est elle qui t'a tout apprit, la main sur le cœur l'entraide la confiance absolue envers les autres cette incapacité à abandonner à tout laisser tomber – tu sais pas être pessimiste tu sais pas te méfier et même si tu gâches tout tu recommences encore et encore car
c'est pas grave de faire des erreurs qu'elle te répétait et Maman, Maman, sans elle tu ne serais rien pas grand chose tu lui dois beaucoup tu lui dois tout et si tu avais pu, tu lui aurais offert ta vie sans hésiter.
Quand tu lui as dis que tu étais gay, elle a prit ton visage en coupe, a embrassé ton front et t'a murmuré un : « sois heureux ». Sois heureux, toujours. C'est ce qu'il y avait de plus important au monde et juste après, elle a rigolé et t'as demandé de te parler de ton crush et toi, t'as rougi, t'as un peu fui aussi,
la gêne mais c'est aussi elle qui t'a parlé de sexualité, qui t'a donné les capotes, qui a adopté ton premier petit copain puis les quelques autres ensuite, l'odeur du dîner qui t'accueillait toujours peu importe ta journée et ce que tu avais fais, ce que tu avais dis, comment tu te sentais.
Cela aurait pu durer une éternité.
Mais si il se passait toujours ce qu'on souhaitait dans la vie, personne ne se sentirait mal.
Cancer. Amas de cellules dégénérées qui prolifèrent à une vitesse folle, s'étalent partout, grignotent petit à petit votre corps jusqu'à ne plus rien laisser derrière lui. Maman, elle s'est battue vaillamment pendant deux longues années, en vain.
Elle est morte un beau jour d'été,
tu avais vingt ans
et pour la première fois de ta vie tu connus
la véritable douleur.
(Oh you wanted some violent form of love)
T'as déménagé de l'appartement-cocon.
T'as à peine fini le lycée, pas vraiment de diplôme en poche, Maman est morte et tu es perdu. Alors, t'es parti, sur un coup de tête. T'as commencé à enchaîner les petits boulots et t'as atterri au Bronx, l'un des pires quartiers de New-York. Candeur juvénile, lumière trop intense pour ce quartier bien trop sombre et pourtant, et pourtant. Maman n'aurait jamais voulu que ta lumière ne s'éteigne alors
tu ne l'as jamais laissé s'éteindre.
C'était dans la misère qu'on trouvait le plus d'espoir. T'en as rencontré, des gens, là-bas ; t'en as vu, des cœurs brisés, des âmes explosées, des regards vides et d'autres encore remplis d'étoiles, des mains tendues et des dos tournés. Maman est morte et ta peine tu l'as lavée avec tes nouvelles rencontres, tes nouvelles découvertes, t'as tendu la main vers eux comme on tendait la main vers toi. Maman n'aurait pas voulu que ta lumière s'éteigne alors t'as gardé ton sourire-soleil comme bouclier face à l'adversité et peut-être que c'était trop, maintenant que tu y penses c'était sûrement ça, c'était trop, trop
d'innocence trop de
douceur mais tu n'as jamais appris à faire autrement et de toute façon, de toute façon
si c'était à refaire alors
tu referais tout
sans hésiter.
C'est dans cette ambiance si particulière que tu as écris ton premier roman, peut-être inspiré par toutes ces personnes auxquelles tu n'aurais jamais pensé te lier.
Il y avait ce garçon. Les histoires commencent un peu toutes par cette phrase-là :
il y avait ce garçon, quelques étages au-dessus du tien, à peine plus jeune que toi et qui avait quelque chose dans son regard, quelque chose qui te criait
apprends-moi à être moi alors tu as voulu prendre sa main. Lui dire, ça va aller, être gay n'est pas un crime, ça va aller, être gay n'est pas une honte, moi je suis là, tu n'es pas tout seul et tu as voulu le guider sur ce chemin pour lui montrer qu'avoir le cœur qui bat n'a rien d'une aberration. Coma, il avait les yeux brûlants, les poings qui se levaient bien trop souvent, le coeur-colère et le corps craquelant. Coma en a vomi d'être gay et toi t'en as pleuré d'être tombé amoureux. Et il était si beau Coma et il était si seul et toi tu voulais juste lui montrer, lui montrer qu'il pouvait être aimé, qu'il en avait le droit car
il méritait tellement mieux. Mieux que la crasse et la haine de soi, mieux que ces hommes pour qui il s'agenouillait tard dans la nuit, mieux que cette drogue qui peuplait ses poches, parce que Coma il avait ce cœur tordu et des ailes en vrac mais il était
ton ange à toi, peu importe combien de plumes il pouvait lui manquer il restait
ton ange à toi.
Ce fut compliqué et fatiguant mais vous avez essayé et réessayé et réessayé encore ; tu t'es foiré, Kyllien, t'es parti au pire moment, tu aurais dû le savoir l'appréhender le sentir mais même lorsqu'il t'a dit qu'il a couché un autre tu as fini par lui dire
c'est pas grave car vous étiez même pas encore ensemble, après tout, ça ne voulait rien dire. Tu lui as donné ton bracelet celui de ta mère en promesse en lien éternel
bientôt je t'en ferais un à toi et tu l'as fais désormais c'est acté c'est signé
si tu savais comme je t'aime (ne me brise pas s'il te plaît, c'est promis ?). Et ce sentiment inconnu si puissant qu'il semblait tout raser sur son passage c'était si fort bien plus fort que tout ce que tu avais connu jusqu'à présent incapable d'être nommé d'être appelé et c'est pas si grave tu l'aimes tu le sais c'est tout ce qu'il y a d'important.
T'as pris Dyson à ce moment-là,
parce qu'avoir un chat ensemble c'était la première étape de quelque chose de stable, non ?
Il est arrivé avec une marque du mauvais côté du cou. Toi t'en faisais toujours côté gauche car côté cœur, au plus proche de sa cage thoracique car tu voulais l'atteindre par chacune de tes caresses chacun de tes baisers et un jour il est arrivé là devant ta porte avec une marque
du côté droit et il y a eu le vide une tornade qui t'a traversée et a tout dévasté sur son passage – il t'a dit qu'il était désolé et toi tu t'es demandé
désolé de quoi, d'avoir une marque du mauvais côté du cou ? Parmi tout ce que tu aurais pu te dire, qu'il était un connard, que tu le détestais, que tu ne voulais plus jamais le revoir toi tout ce qui tournait en boucle dans ton esprit
c'était
c'était
je nous avais pris un chat, tu sais.
(I'm a ruin)
Tu as bu la tasse.
La vague est arrivée, immense et inévitable, terriblement douloureuse. Elle t'a envahie de part en part, ça n'était pas vraiment une vague normale car elle était aussi noire que de l'encre et elle t'a tâchée, teintée, gangrenée jusqu'à ce qu'il ne reste plus grand chose de toi. Tu as perdu ton sourire-soleil et tu as voulu plonger encore plus profondément, voir jusqu'où tu pouvais aller dans les ténèbres. Tu les as vus, ces monstres innommables, tu les as approchés et séduis, ils avaient des dents de démon et des griffes si longues qu'ils t'ont arraché la peau dès qu'ils t'ont frôlé. Et tu as eu mal si mal et tu t'es senti
si sale Kyllien, jusqu'au plus profond de ta chair, tu ne savais plus comment faire pour enlever toutes ces tâches si sombres de toi, tu as commencé à frotter, frotter et gratter et gratter si fort et peut-être qu'au fond tu aurais aimé que tout ton sang coule à travers tes ongles que tu te vides de tout ce qui est en toi car tout ce qui est en toi est contaminé par la vague et par toute cette eau si noire si noire et il faisait si sombre
que tu ne voyais plus la lumière,
cette si jolie lumière
que Maman t'avait toujours montrée.
Tu es resté hors de toi-même plusieurs mois durant, sans être capable de dire combien de temps précisément car cette période reste très flou dans ta mémoire, comme si un nuage épais s'y était installé et t'empêchait d'accéder totalement à tes souvenirs. Il y a, en revanche, ce jour précis que tu n'oublieras jamais, peu importe ce qui arrivera ; celui où on t'a autorisé à respirer de nouveau,
grâce à celui qui avait pourtant coupé ton souffle. Il n'a pas abandonné, il t'a vu et il t'a attrapé la main, parce qu'au fond n'a-t-il jamais été le plus à même pour savoir que tu te noyais ? Tu n'as pas pu lutter ; tu tenais à peine sur tes jambes depuis des mois, tu ne pouvais tout simplement pas. Tu t'es laissé glisser contre lui, contre ses mots et il n'était pas question de se remettre ensemble mais simplement de parvenir à vivre sans l'autre, d'arriver à tenir debout sans qu'on ne soit obligé de se déchirer pour y arriver.
Et Coma, peu importe ce qui arrivera, je t'aimerais toujours, je ne veux plus que tu pleures pour moi et je ne veux plus pleurer pour toi car toi et moi c'est tellement plus fort que ça.
Tu te souviens comme on était liés, tes larmes sont un peu des miennes aussi,
tu te souviens comme on était liés,
si tu pleures je pleure ; si tu tombes je tombe et regarde, je suis déjà tombé.Et j'étais tellement amoureux de toi, Kyl. Cela résonne encore en toi,
comme un mantra qui ne s'arrêtera pas.
Et j'étais tellement amoureux de toi, Kyl.Ah, le voilà, ce mot que tu cherchais depuis si longtemps.
Âme-sœur.C'est ce soir-là que tu t'es rendu compte que tu ne l'aimais pas seulement comme un amant mais comme tous les types d'amours qu'il pouvait exister au monde. Que tu auras beau être son ami, son petit copain ou même
l'ombre de son chien, cet amour restera le même, intact, intouchable, inébranlable. Que rien ni personne ne pourra jamais te l'enlever, peu importe jusqu'à quelle profondeur tu pourrais essayer de te couler. Que cela serait toujours bien plus fort que tout, que la douleur la dépression la violence et les marques du mauvais côté du cou – et ça a sonné le début d'un renouveau. Tu lui as demandé si tu pouvais rester auprès de lui malgré tout, parce que t'as pas besoin d'être amoureux de lui au fond, juste que tu sentes qu'il était toujours à tes côtés.
Tu t'es redressé,
et t'as retrouvé cette lumière qui te manquait tant
petit à petit.
(I know when you're around 'cause i know the sound of your heart)
C'est au moment où tu as commencé à remonter la pente qu'il est apparu, un beau matin, devant ta porte.
Serenn.Petite comète qui a atterrit sur terre dans une grande explosion.
Tu avais un demi-frère et tu l'apprenais seulement maintenant, presque un an après la mort de ton père. Le notaire n'a pas vraiment tenu sa langue dans sa poche, ou Serenn a réussit à lui voler ton adresse, t'as jamais trop su. Tu ne sais jamais grand chose, avec lui. Il est si silencieux et si renfermé et son regard rempli de colère posé sur toi t'a souvent mis mal à l'aise – pourquoi était-il venu, pourquoi était-il resté si il te détestait autant, si il t'en voulait autant ? Mais t'as pas abandonné pour autant, Kyl. T'as essayé par tous les moyens de l'approcher un peu, de baisser ses barrières et t'y es parvenu, lentement, très lentement, petit à petit.
Maintenant, t'as surtout l'impression qu'il t'en veux de plus parvenir à te détester autant qu'avant.
(Tu n'en dis rien, mais ça t'amuse un peu – il était vraiment comme un petit schtroumpf grognon, parfois).
A ton renouveau s'est donc rajouté les responsabilités de gérer un tout-jeune-adulte dans ton foyer ; un tout-jeune-adulte légèrement rebelle, en plus de ça. Tu n'as jamais autant rongé ton frein qu'avec lui à tes côtés, sans jamais craquer parce que tu savais pertinemment que c'était ce qu'il attendait. Tu lui as tout de même laissé autant de libertés que possible, de distance et d'intimité qu'il en demandait, non seulement parce que tu ne savais pas comment faire autrement mais aussi parce que cela restait encore le meilleur moyen de le laisser venir vers toi ; Serenn, c'était un chat des rues, légèrement sauvage et méfiant envers le reste du monde, tu te devais d'être précautionneux.
T'as attendu.
Et pendant que tu écrivais ton second roman
c'est Coma qui a déraillé
encore.
Un texto et tu n'as jamais senti ton cœur vriller autant
pas même pendant que tu coulais sous la vague.
Hôpital et tous les mauvais souvenirs qui sont remontés à la vitesse de l'éclair, l'odeur aseptisée les murs trop blancs et cette tension partout la mort qui rôde sa faux bien en main
mais lui c'est pas possible qu'il soit mort, hein ? C'est pas possible qu'il soit parti, pas maintenant, ça ne peut past'as ouvert la porte
il était là
les yeux grands ouverts
bien éveillé.
Pour la première fois de ta vie, tu as connu la véritable colère. Le feu qui passe par les veines et dévore tout sur son passage, l'envie de le frapper de le secouer et peut-être que t'as craqué peut-être que c'est ce que t'as fais incapable de te contrôler parce qu'il
a failli mourir et te laisser là tout seul alors qu'il était la moitié de ton âme et que sans lui tu serais plus rien, sans lui tu ne pourrais plus aller bien. Tu lui as hurlé la vérité, qu'il était
ton âme sœur et qu'il n'avait pas le droit de te laisser.
(Peut-être que t'as un peu pleuré
peut-être que tu l'as un peu embrassé
peut-être que tu aurais voulu qu'il te promette l'éternité
Et toi, tu t'es promis de ne plus le laisser,
pas tant que tu le verrais se noyer)
(I'm feeling alright 'cause I can see your palm reaching out to mine ; in the orange sky, there's glowing fireflies)
La France?La France.
Pour la première fois, Serenn t'a regardé dans les yeux, déterminé. Il a même accepté de te parler de pourquoi, de votre père qui l'emmenait souvent là-bas, de sa passion pour ce qu'il aimerait y faire, un peu.
Le temps est passé, les tensions se sont apaisées entre lui et toi ; t'as terminé ton deuxième roman, tu vis plutôt bien et peut-être qu'au fond de ton ventre, y'a cette envie d'ailleurs qui a refait surface, la même que ta mère. Mais tu ne sais pas. Tu as hésité, Kyllien, parce que tu as tout ici et que là-bas, tu n'y connaîtras même pas la langue. Tu as hésité, et puis tu as cédé. Parce que Serenn ne voulait toujours pas retourner avec sa mère, parce qu'il semblait enfin savoir quoi faire de sa vie, parce qu'il y avait tellement de choses encore que tu voulais découvrir et faire partager. T'as dis à Coma :
tu es et resteras mon âme sœur, quoi qu'il se passe, même à l'autre bout de l'océan je ne t'abandonnerais pas et tu lui as offert ce sourire-soleil toujours vivant grâce à lui.
Tu ne m'oublieras pas, hein ? que tu lui as demandé et comme promesse de ne jamais le faire, tu as enfilé un deuxième bracelet à ton autre poignet, de la même couleur que ses yeux qui hantent encore tes jours et tes nuits. Toi, tu sais que tu ne l'oublieras pas ; tu sais que tu sentiras pour toujours ce lien qui vous relie, et que peu importe la distance qui vous sépare, tu seras toujours à même de sentir comment il va, n'importe quand (de toute façon, tu ne comptais pas le laisser s'échapper ; tu lui colleras toujours aux basques, même à travers un écran).
T'es parti, bagages en main, Serenn à tes côtés,
pour un pays dont tu ne connais rien
mais dont tu as tout à apprendre.
Les yeux tournés vers un avenir brillant,
et ce sourire-soleil qui t'accompagne
porté par ce bracelet
accroché à ton poignet.