Jeremy Gutiérrez
Papa paumé

Emma Gutiérrez
Gamine adorée

                                         à Paris, le 27 septembre 2019

___J’ai beaucoup réfléchi avant de poser mon encre sur cette feuille. Je me suis dit que je n’en avais pas besoin, qu’il n’y a pas de parole plus profonde que celle qui vient du cœur. Et puis je me suis rappelé que tu n’as que moi aujourd’hui, que tu n’auras que moi jusqu’à la fin de tes jours. Je veux être capable de t’apporter un maximum de réponses aux questions que tu finiras par te poser. On recherche tous d’où l’on vient et sans que ces vies nous appartiennent réellement, on cherche à s’identifier dans l’existence de nos parents. À défaut d’avoir ta mère, j’espère que ton vieux père sera une source d’inspiration. Tu vas bientôt avoir six mois. Ça fait presque une demi année que j’ai fait la plus belle rencontre de ma vie, la plus bouleversante aussi. Ce n’est plus un secret pour personne, je peux donc te le dire sans que tu te sentes rejetée : je ne t’attendais pas. Si un jour quelqu’un cherche à te traiter « d’accident » seulement pour te blesser, rappelle-lui que je ne me suis pas enfuis face à mes responsabilités et qu’à la minute où je t’ai prise dans mes bras, j’ai su que tu y resterais toute ta vie. Tu es mon cadeau le plus précieux et même si ça n’a pas été facile tous les jours, je suis heureux de t’avoir eu dans ma vie. On dit que le hasard fait bien les choses, il l’a prouvé : il t’a faite, toi.

___Tu sais déjà tout ce qu’il y a à savoir sur moi, sur nous. Nos origines, tes oncles et tantes inexistants, l’amour fou que te portent tes grands-parents, la belle maison au bord de la plage dans laquelle nous vivons durant certaines de tes vacances scolaires. Je ne sais pas si tout ce que j’écris actuellement s’est réellement produit, mais sache que c’est ce que je prévois pour notre avenir et je suis impatient à l’idée qu’un jour, tu viennes me confirmer mes dires. Je veux t’entendre me dire que tu as été heureuse et que même sans ta mère, tu as su devenir une femme exemplaire, aussi belle à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le but de cette lettre est de te parler de ta génitrice, de tout ce que je sais – ou pense savoir – d’elle et de comment nous nous sommes rencontrés. Je vais t’épargner tous les détails de cette soirée, mais elle et moi, ça n’a été l’affaire que d’une nuit. Je me souviens de son sourire, de son regard. J’ai tout de suite été attiré par elle, elle semblait illuminer la pièce dans laquelle nous nous trouvions. C’était une soirée banale, une fin de semaine comme les autres où beaucoup de personnes étaient réunies pour décompresser, boire un verre et oublier la routine quotidienne. Il y avait comme une aura autour d’elle, ce soir-là, un véritable ange tombé du ciel. Je ne savais pas encore à ce moment-là que des cornes de diablesse se cachait sous son auréole. Sache malgré tout que ça n’a pas été que physique entre elle et moi, on a beaucoup discuté, tant durant la soirée que le lendemain, au petit matin. Je la trouvais rayonnante, intelligente et drôle. Elle était à la fois superficielle et mature, j’ai tout de suite compris qu’elle jouait un rôle dans lequel elle s’était perdue depuis son enfance : la gamine riche, imbu de sa personne, trop bien pour les autres. Trop bien pour moi. Aucun numéro n’a été échangé, on savait pertinemment que notre différence d’âge nous éloignerait beaucoup trop pour se revoir. Elle n’avait été qu’un coup de folie, une histoire éphémère et inattendue. Ce que j’ignorais encore en la laissant repartir de chez moi, c’est que notre passion commune venait de te créer.

___Après ça, je ne sais pas comment est-ce qu’elle a vu les choses. Elle a décidé de te garder et de ne pas me prévenir, d’ignorer que je suis ton père et que j’ai des droits sur toi. J’en ai bien plus qu’elle, à l’heure actuelle, je me dis donc qu’elle aurait dû m’en informer, ça m’aurait plu de te sentir donner des coups dans son ventre. Quand je pense à ça, à la grossesse qu’elle a vécu sans mon soutien, je suis dégoûté. Dégoûté à l’idée qu’elle ait pu te susurrer de jolies choses, quand tu étais agitée. Je m’imagine sa voix douce qui arrive à te calmer en un rien de temps, de quelques chansons que seules les mamans connaissent. Peut-être que je me trompe. Mais si ce n’est pas le cas, comment est-ce qu’elle a pu te faire ça ? Je ne t’ai eu qu’après une semaine. Elle a vécu son accouchement seule et t’a gardé avec elle durant sept jours. Cent soixante-huit heures précisément. Dès que je t’ai prise dans mes bras, j’ai su que je ne voulais plus te lâcher et je t’ai identifié comme ma priorité, la seule personne qui compte suffisamment à mes yeux sur cette terre pour que je la protège au péril de ma vie. Et elle, après neuf mois et une semaine, elle n’a pas hésité à t’abandonner ? C’est face à son manque cruel d’humanité que j’ai pris l’initiative de t’élever avec des valeurs qui me correspondent, je veux te voir loyale, à l’écoute, proche des autres. Tu mérites de ne pas devenir comme elle, de ne pas te laisser submerger par tes émotions et de ne pas laisser l’égoïsme te guider. Je n’ai pas la douceur d’une femme, ni le côté rassurant d’une maman, ni toutes les réponses aux questions que tu vas te poser sur ton corps qui évolue, à ce niveau-là, elle aurait été tellement plus forte que moi. Mais j’ai tout le reste. Une situation, des principes, une volonté de fer. Et je suis là. C’est le plus important que je peux te donner, ce que tu dois chérir au maximum : ma présence. Car moi, mon amour, tu ne me verras jamais t’abandonner.  

Avec tout mon amour, ton père